La stratégie des alliés

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"Un projet ne meurt pas du fait de ses opposants mais du cruel manque d’alliés: seuls les vrais opposants ne sont pas des alliés potentiels."

La sociodynamique est une science du management, inventée dans les années 70 par Jean-Christian Fauvet, à l’époque où les enjeux des entreprises portaient principalement sur la gestion des conflits sociaux. Parce qu’elle s’appuie sur la conviction profonde que l’humain est au coeur de la performance des organisations, cette approche reste d’une surprenante actualité, et apparaît très pertinente dans le contexte des transformations d’organisation. On lui doit notamment la carte des attitudes (1) et la stratégie des alliés (2), qui se révèlent des outils particulièrement adaptés et puissants dans la détermination et la conduite des stratégies de transformation, où l’enjeu essentiel est souvent de trouver “comment mobiliser une majorité d’acteurs pour faire avancer et réussir le projet”.

1. La carte des attitudes

Toute démarche de transformation met l’organisation en tension. Face à cette tension, les individus vont réagir par des attitudes différentes qui sont autant de marqueurs de leur niveau d’engagement face à la démarche. Certains vont se montrer spontanément enthousiastes, d’autres radicalement opposés, d’autres encore hésitants, déchirés ou simplement passifs... La carte des attitudes est un outil qui permet de cartographier de manière systémique et dynamique, l’état des “forces en présence”, les “niveaux d’énergie” individuels et collectifs sur un projet donné. Par l’observation des attitudes des différentes parties prenantes, qui révèlent l’enjeu que représente le projet pour eux, il est ainsi possible de dresser une représentation visuelle des postures de chacun. Deux postulats clés sous-tendent cette analyse :

  1. Les individus ne sont pas que “pour” ou “contre”. Face à n’importe quel projet, cohabitent en chacun de nous des sentiments contradictoires et d’une intensité variable : certains nous rapprochent, d’autres nous éloignent et notre attitude sera le fruit - la synthèse intime - à un instant t de ces sentiments contradictoires. Nous serons aussi plus ou moins actifs dans nos réactions, selon l’intensité de ces sentiments.
  2. Surtout, ces sentiments ne sont pas figés et dépendent intimement du contexte, de la perception des enjeux, et peuvent donc varier selon les aspects du projet et avec le temps.

Ce second postulat est un garde-fou essentiel pour éviter tout jugement sur les personnes, et toute catégorisation enfermante.

C’est également parce que les choses ne sont pas figées que l’on peut envisager une stratégie de l’action (cf. Stratégie des alliés ci- après) et que la carte des attitudes reste une photo à un instant t, qui doit être régulièrement actualisée. A partir du premier postulat, on peut modéliser la carte des acteurs sur deux axes qui représentent la Synergie et l’Antagonisme par rapport au projet (appelé “point d’application”), avec une gradation fonction de la détermination de la personne à soutenir ou à s’opposer au projet.

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Sur ces sociodynamique identifie 7 attitudes types, face à un projet donné, à un instant donné :

Selon la nature et l’ampleur du projet, on peut positionner des personnes, des services, des équipes, des groupes, etc...

De plus, un projet de transformation comporte de multiples aspects, qui sont autant de “points d’application” par rapport auxquels les attitudes peuvent être différentes pour un même individu. Par exemple : “je suis aligné avec le projet de déployer l’agilité mais opposé à la manière dont la direction entend mener cette démarche”.

Plusieurs cartes des attitudes seront nécessaires, selon les “points d’application” pour appréhender la complexité du système. Et, rappelons-le, la carte est un objet vivant qui doit être régulièrement actualisé en fonction de l’évolution du contexte.

2. La stratégie des alliés

Une fois caractérisées et catégorisées les “forces en présence”, les porteurs du projet pourront utilement mettre en oeuvre une stratégie d’action et de communication vis à vis des différents protagonistes.

D’un point de vue stratégique, la sociodynamique propose de regrouper les 7 attitudes en 4 postures :

  • les Alliés
  • les Hésitants
  • les Passifs
  • les Opposants

La première règle est que “tous, sauf les véritables opposants, sont des alliés potentiels”. A partir de ce postulat essentiel, la stratégie des alliés se déploie sur trois axes :

  1. Identifier et connaître ses Alliés et construire et faire fonctionner l’alliance avec eux
  2. Mobiliser les hésitants et les passifs
  3. Gérer les opposants

Appliquée à un projet de transformation de l’organisation, la conduite d’une stratégie des alliés peut ainsi consister à :

  • Identifier au sein de l’organisation les personnes/les équipes qui témoignent par leur attitude d’une forte synergie avec le projet.
  • Faire de ce premier groupe d’alliés - autrement appelés les early adopters dans l’approche lean startup - le coeur de l’équipe de transformation.
  • Le sponsor du projet consacrera l’essentiel de ses efforts à cette équipe, qu’il soutiendra en lui allouant des pouvoirs, des moyens et du temps. Il sera à l’écoute de leurs propositions et de leurs critiques, appuiera leurs initiatives, valorisera leurs contributions et accueillera leurs erreurs. Cette attitude de Servant Leadership est clé. Il ne s’agit pas de considérer ses alliés comme étant à sa botte, seulement là pour exécuter un plan préconçu, mais comme un collectif diversifié en forte synergie avec votre projet, capable de l’enrichir et de le concrétiser en l’adaptant à la réalité du terrain. En revanche, on attendra du leader qu’il soit cadrant sur l’objectif, qu’il témoigne de sa détermination et qu’il impose et incarne les règles qu’il a édictées au soutien du projet (notamment face aux opposants).
  • Le sponsor et ses Alliés se focaliseront sur les Hésitants, qui constituent autant d’alliés potentiels. L’outil principal vis-à-vis d’eux est la communication et son corollaire, l’écoute. On hésite souvent face à une perspective nouvelle car l’intention n’est pas clairement perçue, où que le changement est source de peurs légitimes. Ou encore parce que certains aspects clés connus du terrain ne semblent pas avoir été suffisamment pris en compte. Bref, écouter et impliquer les Hésitants, leur donner une voix et une place, est essentiel au succès du projet. vos Alliés Concertatifs seront précieux pour embarquer les Hésitants car leur part d’antagonisme est une source d’empathie vis-à-vis des Hésitants.
  • Les Passifs, sont une catégorie à part entière. Souvent majoritaires, ce sont des attentistes, parfois circonstanciel. Jean- Christian Fauvet parle à leur endroit de la quille du bateau qui abaisse son centre de gravité. Il s’agit moins de chercher à les engager ou à les mobiliser autour du projet, que d’éviter qu’ils ne basculent du côté des opposants et de les influencer favorablement. Faire parler leurs pairs ralliés, écouter leurs difficultés et agir concrètement pour y remédier, seront autant de moyens efficaces de ménager voire de rallier les passifs. En outre, l’exemplarité et la détermination du leadership joueront comme des forces puissantes face à ce groupe de nature “légitimiste”. Parce que vous vous focaliserez principalement sur vos Alliés, sur les Hésitants et les Passifs, il vous restera peu de temps pour interagir avec les Opposants. On parle ici des “vrais” opposants qui se mobilisent activement contre le projet. Sans être nécessairement irréductibles, ils ne sont pas prêts au compromis. Ne chercher pas à les convaincre ni à répondre à leurs objections. Employez-vous plutôt à les isoler en les désolidarisant des autres protagonistes, en contenant leurs agressions et leurs objections, et en montrant la faiblesse de leurs pouvoirs d’entrave.

Le grand enseignement de la Stratégie des Alliés est donc que l’essentiel de votre énergie et de votre attention doit se porter sur la construction et l’animation des alliances que vous aurez nouées avec vos partenaires actuels et potentiels. Soyez particulièrement attentifs aux Concertatifs. Leur esprit critique et leurs objections sont autant de richesses qui vous permettront d’entrevoir des angles ignorés ou négligés de votre projet, vous donnant ainsi, en acceptant de penser la transformation de votre organisation dans toute sa complexité, les meilleures chances d’aboutir.

Matthieu Bourgue – coach agile et membre de l’Institut de la Sociodynamique

Pour aller plus loin : cet article est une esquisse qui effleure une partie des enseignements de la sociodynamique. Si le sujet vous intéresse, vous pouvez vous rapprocher de l’Institut de la Sociodynamique qui rassemble des praticiens passionnés et propose des initiations à ses adhérents, et organise régulièrement des événements autour de la sociodynamique.